Passera-t-il, ne passera-t-il pas ? L’éventuelle adoption ou non du projet de loi 30 portant sur la distribution des produits et services financiers fait beaucoup jaser dans l’industrie automobile. Un dossier chaud qui ne laisse personne indifférent, particulièrement les distributeurs de produits qui gravitent autour du segment finance et assurances (F&A).
Précisons que la plupart des fournisseurs de produits F&A qui ont accepté de discuter ouvertement du sujet avec AutoMédia l’ont fait à la condition que leur nom ne soit pas cité. D’autres ont préféré décliner gentiment notre demande d’entrevue.
Les faits
Rappelons que le ministre des Finances Éric Girard a, en juin dernier, déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi 30 intitulé Loi modifiant diverses dispositions principalement dans le secteur financier. Grosso modo, ce projet de loi vise, notamment, à modifier la Loi sur les assureurs et la Loi sur la distribution de produits et services financiers.
Ce qui retient l’attention des services de F&A des secteurs de l’automobile, des véhicules récréatifs et des véhicules de loisirs, c’est le volet qui consiste à retirer l’autorisation permettant aux distributeurs sans un représentant en assurance (ce qu’on appelle dans le jargon de l’industrie les DSR) de vendre des polices d’assurance automobile F.P.Q. n° 5, mieux connues sous le nom d’assurance de remplacement.
Des assurances lucratives
Selon le Rapport d’analyse des divulgations 2020-2021-2022 des assureurs de l’Autorité des marchés financiers (AMF), publié en septembre dernier, près de 64 000 assurances de remplacement ont été vendues en 2022 par l’entremise des 2200 concessionnaires de véhicules au Québec. À lui seul, le volume de primes souscrites (148,4 M$) s’est traduit par un peu plus de 67 M$ en commissions versées dans les poches des concessionnaires. Si on ajoute la vente de quelque 72 240 produits d’assurance vie, santé et perte d’emploi d’un débiteur (les VSPED), la cagnotte en commissions frôle les 170 M$ pour l’ensemble des commerçants de véhicules. C’est de l’argent !
De l’avis de certains fournisseurs de produits F&A, la récréation a assez duré. « Les entreprises qui distribuent ces assurances ont exagéré avec leurs généreuses commissions à l’égard des concessionnaires. Comme elles ne corrigent pas d’elles-mêmes la situation, le gouvernement a décidé de leur serrer la vis », s’exclame une de nos sources du milieu F&A.
Des taux de rémunération discutables
Le rapport d’analyse de l’AMF signale justement que la rémunération moyenne versée aux concessionnaires pour la vente d’assurance de remplacement en 2022 était de 45 %. Une moyenne qui grimpe à 54 % lorsqu’il s’agit de produits VSPED. En comparaison, la rémunération moyenne versée aux représentants des produits d’assurance automobile pour le Canada ainsi qu’aux distributeurs actifs de crédit à la consommation (autrement dit les banques et institutions financières qui vendent des produits par l’entremise du régime DSR) se situait largement sous la barre des 15 % en 2020. Et même sous les 13 % en 2021.
Une guerre entre assureurs
« Il s’agit d’une guéguerre que se livrent depuis des années les courtiers en assurance et les fournisseurs de produits d’assurance par l’entremise de concessionnaires », déclare, par ailleurs, un distributeur de produits F&A qui observe la situation de près.
« Les courtiers d’assurance automobile qui vendent déjà l’avenant de la valeur à neuf souhaitent depuis longtemps récupérer en entier la vente d’assurances de remplacement, un des produits chouchous de l’industrie F&A », maintient cet intervenant. Ce sont, selon lui, les pressions de la part des courtiers d’assurance auprès du gouvernement qui ont provoqué les analyses de l’AMF et, par conséquent, la rédaction du projet de loi 30.
Des taux de refus très bas
Guéguerre ou non, l’AMF considère que les taux de rémunération élevés dans le contexte de l’offre par l’entremise des concessionnaires sont susceptibles d’induire des mauvaises pratiques. À ce propos, l’Autorité signale que le taux de refus pour les produits offerts par des concessionnaires variait de 26 % à 29 % juste avant la pandémie. En 2022, ce taux a fondu à 15 %. Bien que la situation puisse être circonstancielle, des groupes de discussion ont démontré que les consommateurs éprouvent de la difficulté à comprendre et à évaluer les clauses relatives des divers produits.
Pour preuve, un sondage Léger mené par la Chambre de l’assurance de dommages (CHAD) a révélé que près du quart des Québécois (22 %) ayant acheté un véhicule neuf au cours des cinq dernières années ont affirmé avoir payé pour une assurance de remplacement… et un avenant de valeur à neuf auprès de leur assureur. Un déboursé en trop de 1700 $, fait savoir le CAA dans un article qui compare les deux produits similaires.
Des primes uniques défavorables
Par ailleurs, l’Autorité a constaté que les consommateurs n’avaient pas la vie facile en cas de résiliation de leurs polices auprès des concessionnaires. Elle soulève que ce type d’assurance, notamment des produits à prime unique, se démarque de façon défavorable pour le consommateur. Le coût de l’assurance est généralement ajouté au montant du financement du véhicule. Non seulement cette approche restreint la capacité du consommateur à reconsidérer sa décision et d’opter pour des alternatives mieux adaptées, elle implique des paiements de prime à un taux d’intérêt beaucoup plus élevé, dit-elle. « Sans compter la cote que se prend le concessionnaire », mentionne un intervenant du milieu F&A.
«En fait, ce projet de loi envoie un signal aux joueurs de l’industrie», déclare un distributeur F&A interviewé. Selon des statistiques dévoilées par l’AMF dans son dernier rapport d’analyse, Industrielle Alliance et Beneva (devenue Sym-Tech) se partagent respectivement près de 70% et 20% du marché des assurances de remplacement et de produits VSPED. Francis Vallée, vice-président de Sym-Tech Services aux concessionnaires pour le Québec, a d’ailleurs discuté de la Loi 30 dans le dernier numéro d’AutoMédia. Voir l’article ici.
« Ça fait des années que l’on dit qu’il faut professionnaliser le service de F&A. À un moment donné, assez, c’est assez ! » dénonce un autre distributeur. Ce dernier ne comprend d’ailleurs pas pourquoi il n’y a toujours pas de sanctions réelles pour des directeurs financiers fautifs, alors qu’un courtier immobilier peut carrément perdre son permis s’il est pris en défaut.
Enfin, malgré le courage politique de ce projet de loi salué par plusieurs distributeurs, certains doutent de son adoption. « Nous sommes en octobre, et ce projet de loi déposé en juin n’a toujours pas été adopté. Ce qui devait pourtant être fait dès la reprise des travaux parlementaires. À mon avis, il y a beaucoup trop d’argent en jeu pour que ce projet soit adopté. Je crois néanmoins que l’on vient de lancer un solide avertissement à notre industrie. À nous de prendre les mesures qui s’imposent avant que le gouvernement ne le fasse à notre place ! » conclut ce distributeur.