Plusieurs marchands de véhicules d’occasion ont vécu une chute brutale à la toute fin de l’année 2023. Après avoir atteint des performances records pendant les années de pandémie, non seulement les profits dégringolent, mais les ventes se resserrent. Dur retour à la réalité pour 2024.
D’abord, le volet profit. « Après avoir obtenu des marges moyennes de plus de 11 000 $ (voir plus de 15 000 $ pour les VUS) entre 2019 et 2022, l’écart moyen entre le prix coûtant et le prix de vente affiché des véhicules sur le Web a considérablement fondu », observe Yves Varin, directeur national au service d’alimentation de données, à Canadian Black Book (CBB). Si l’écart se maintient tout juste sous la barre des 8000 $ pour les VUS, il en est tout autre pour les voitures. Une catégorie dont l’écart se calcule actuellement en quelques centaines de dollars, dit-il.
Avec le retour graduel des inventaires de véhicules neufs chez les concessionnaires, la valeur des véhicules d’occasion a diminué d’un peu plus de 17 % au cours de l’année 2023, remarque-t-on un peu partout au pays. « Et cette descente a été encore plus abrupte dans les derniers mois de l’année, soulève Yves Varin. Juste au cours du dernier trimestre de 2023, la valeur des berlines a baissé de 5,8 %, et même de 10,4 % pour les camions et VUS. »
Une baisse notable qui est également vue du côté de la revente des véhicules 100 % électriques. « En 2023, la rétention de valeur s’est affaiblie pour les véhicules à batterie (BEV). Cette dernière est désormais à 44 %, soit huit points de moins que pour les modèles PHEV et 17 points de moins que pour les modèles HEV », fait savoir M. Varin.
Des volumes de ventes à la baisse
Que la valeur des véhicules d’occasion baisse, cela n’inquiète pas le directeur général de l’Association des marchands de véhicules d’occasion (AMVOQ), Steeve De Marchi. « Le prix moyen de vente du véhicule d’occasion se situe actuellement au montant qu’il aurait sans doute été s’il n’y avait pas eu de pandémie », estime-t-il.
En fait, c’est davantage le volume des ventes qui ennuie le DG de l’AMVOQ. « Selon nos estimations, les ventes de véhicules d’occasion ont diminué de près de 15 % chez nos quelque 1200 membres », avance M. De Marchi. Une baisse qu’il explique notamment par la hausse soutenue du taux directeur passé de 0,25 % à 5 % en moins de 18 mois. Ce qui a propulsé, dit-il, les taux de financement du véhicule d’occasion au-dessus de la barre des 10 %. Un facteur qui a refroidi les ardeurs des consommateurs.
« On espérait des diminutions du taux directeur à la fin de l’année 2023 ou au début de 2024, mais il semble que cela ne se produira pas avant la fin du deuxième trimestre. Et encore », partage le dirigeant de l’AMVOQ.
Malgré l’essoufflement qu’il ressent auprès de ses troupes, Steeve De Marchi demeure sûr que le marché va finir par se stabiliser. « Surtout si nous avons droit à un printemps hâtif. Ce qui aide normalement aux ventes de véhicules. Nos marchands devront toutefois être créatifs et attentifs aux signaux du marché », souligne-t-il.
Des stocks accessibles, mais…
D’autre part, on trouve beaucoup moins de concurrents de véhicules d’occasion sur les différents sites d’enchères. En raison du réapprovisionnement de véhicules neufs, les concessionnaires sont moins affamés. Ce qui a pour effet de diminuer les prix coûtants. « Mais attention, les acheteurs américains demeurent gourmands », avise Yves Varin. En 2023, plus de 270 000 véhicules d’occasion du marché canadien ont traversé la frontière, soit plus d’un véhicule sur sept. « Et de ce nombre, la grande majorité de la marchandise provenait des provinces de l’Ontario et du Québec », soutient-il.
Autre facteur qui pourrait nuire aux ventes de véhicules d’occasion, l’équité négative qui atteint des taux élevés ces jours-ci. « En raison des prix élevés pour les véhicules d’occasion, plus d’un acheteur sur deux (56 %) a, pendant la pandémie, étalé son financement jusqu’à 84 mois et plus. Puisque la valeur des véhicules d’occasion a fortement baissé depuis deux ans, plus d’une transaction sur cinq (20 %) se trouverait actuellement en équité négative », fait savoir Yves Varin.
D’autres nuages en vue
2024 sera aussi une année marquée par le volet réglementation. Les marchands de véhicules d’occasion sont appelés à suivre de près la loi 29, qui depuis octobre 2023 protège les consommateurs contre l’obsolescence programmée, favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens. Une loi que plusieurs ont surnommée la loi anti-citron.
L’AMVOQ surveille également de près le projet de loi 30, qui vise la distribution des produits financiers. Déposée à l’Assemblée nationale, cette loi n’a toujours pas été adoptée.
Enfin, non seulement l’industrie doit se défendre contre quatre actions collectives, mais elle se trouve sous la loupe de l’Office de la protection du consommateur (OPC). « Dans les deux cas, il s’agit d’une application de la loi qui consiste à respecter le prix annoncé. Ce qui représentera notre grand cheval de bataille en 2024 », commente Steeve De Marchi.
Depuis sa création, l’AMVOQ a toujours maintenu un rôle afin d’aider les commerçants à demeurer conformes aux règles et lois qui régissent l’industrie de la vente de véhicules d’occasion. L’arrivée des diverses plateformes a accentué la course des commerçants à vouloir offrir le plus bas prix. Malheureusement, ce n’est pas de cette manière qu’il faut travailler, il faut être transparent », dit-il.
Raison pour laquelle l’AMVOQ bosse sur un vaste projet afin de mieux outiller ses 1200 membres. Les détails de cette opération devraient être dévoilés d’ici l’automne prochain.
Est-ce le temps de vendre son commerce ?
« Un commerce qui vend uniquement des véhicules d’occasion est beaucoup moins recherché qu’une concession de véhicules neufs, indique Maxime Théorêt, associé directeur à la firme de fusions et acquisitions DSMA. Contrairement aux concessions, un marchand de véhicules d’occasion ne détient pas l’exclusivité d’un territoire. À moins que le zonage municipal en fasse mention contraire, un concurrent peut très bien venir s’installer de l’autre côté de la rue. »
Et quand bien même le commerce disposerait d’une solide réputation positive auprès de la clientèle, cela aura très peu d’incidence sur la valeur de l’entreprise, poursuit-il. « Près de la moitié des acheteurs de véhicules (46 %) sont encore guidés par les prix et non par l’expérience client », conclut notre expert en valeur de commerce.