La délicate relation entre les constructeurs automobiles et les groupes de concessionnaires

La relation d’affaires entre un constructeur automobile et ses concessionnaires est un sujet confidentiel et, parfois, tabou. On marche sur des œufs lorsqu’on aborde ce sujet, car on ne veut pas favoriser ou encore froisser un actuel ou un futur partenaire d’affaires. C’est un terrain qui peut devenir glissant. Si glissant que certains constructeurs (Kia, Toyota et Volvo, pour ne nommer que ceux-là) ont carrément décliné notre demande d’entrevue portant sur leur relation avec les groupes de concessionnaires, affirmant n’avoir aucun commentaire à donner. Collaboration spéciale de Germain Goyer 

 

Heureusement, Don Romano (président et PDG de Hyundai Canada), Andrew Harkness (directeur du développement du réseau de concessionnaires pour Nissan Canada), Jeffrey Wingrove (directeur du développement du réseau de concessionnaires pour Volkswagen Canada) et Yves Langevin (professeur et coordonnateur du département d’administration et d’économie du Collège de Bois-de-Boulogne et anciennement maître d’enseignement à HEC Montréal) ont accepté de s’entretenir avec AutoMédia sur la relation qui existe entre les constructeurs automobiles et les groupes de concessionnaires. 

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Du point de vue d’un constructeur automobile, quels sont les avantages de collaborer avec des groupes de concessionnaires? 

 

Invité à partager son point de vue sur la question, M. Harkness, de Nissan Canada, indique que « depuis les années 2010, on a observé que des économies d’échelle étaient possibles en faisant affaire avec des groupes de concessionnaires dans certaines régions. Aussi, on a pu obtenir une meilleure constance de la performance autant pour les ventes que pour le service à la clientèle ». Il faut savoir également que les coûts d’exploitation d’un concessionnaire automobile ont augmenté et que les groupes ont la possibilité d’investir davantage de manière massive. 

 

Quant à M. Wingrove, de Volkswagen Canada, il est d’avis que « les groupes de concessionnaires peuvent être générateurs d’opportunités pour un constructeur automobile désirant s’implanter dans les grandes villes canadiennes, là où le prix du pied carré est élevé ». Don Romano partage cet avis. Il ajoute ceci : « Les grands groupes ont les ressources et les leviers pour acquérir les terrains nécessaires pour être compétitifs. Pour une petite entreprise familiale, l’acquisition d’un terrain de 10 à 20 M$ pour y construire ensuite une concession coûtant 10 M$ supplémentaires peut représenter un frein. »  

 

Du point de vue de la rétention de personnel, Jeffrey Wingrove voit également un avantage à collaborer avec les groupes de concessionnaires. En effet, par la taille de l’entreprise, « un employé peut évoluer au sein du groupe jusqu’à obtenir un poste de gestion ou de direction. La rétention de personnel est essentielle à notre industrie et les groupes les mieux gérés peuvent en tirer avantage de cette manière », avance-t-il. Au final, le tout s’avère profitable pour le constructeur à son tour. 

 

Également, l’implantation d’une nouvelle vision d’un constructeur automobile peut être facilitée grâce à la relation avec des groupes de concessionnaires. « Quand on a un propriétaire de plusieurs concessions avec lequel on partage une vision, c’est beaucoup plus facile de déployer une initiative avec une seule personne pour cinq concessions que de le faire un concessionnaire à la fois », confie Andrew Harkness. 

 

Quels sont les défis pour un constructeur automobile de travailler avec des groupes de concessionnaires? 

 

Pour Yves Langevin, expert en économie et en administration, le concept de « balance du pouvoir » est primordial. Autrement dit, un constructeur automobile ne doit pas alimenter lui-même la bête et ainsi créer sa propre menace, ce qui pourrait éventuellement mener à un renversement du pouvoir. C’est dans ce même esprit que M. Harkness, de Nissan Canada, raconte « qu’on n’assigne pas la province du Québec au complet à un seul groupe. On a une saine compétition entre les concessionnaires pour conserver l’équilibre du marché ». 

 

Qui plus est, toujours selon M. Langevin, un constructeur automobile se retrouve en forte concurrence avec les autres constructeurs automobiles qui attribuent leur franchise à un même groupe. Un constructeur doit ainsi s’assurer que sa bannière soit la priorité du groupe et ne pas se retrouver en queue de peloton derrière des enseignes qui seraient plus profitables pour le groupe. Le professeur souligne que l’industrie automobile est différente des autres secteurs d’activité où existent, par exemple, des ententes d’exclusivité. 

 

Quant à Don Romano, l’homme à la tête de Hyundai au pays, il accorde peu d’importance à la taille de l’entreprise : « Que l’entreprise soit petite ou géante, ce qui compte pour nous, c’est l’engagement et l’implication envers la marque. » Malgré tout, pour M. Romano, « il est plus facile de travailler avec un concessionnaire individuel, puisqu’une seule rencontre peut résoudre tous les problèmes. Avec un groupe, c’est plus long et plus lent ».  

 

Un mot sur les constructeurs automobiles et leur relation avec les concessionnaires individuels 

 

Bien qu’on observe de plus en plus une expansion des grands groupes de concessionnaires et que de petits groupes ont tendance à se former, les concessionnaires individuels perdurent. Questionnés sur la pérennité de ces derniers, nos interlocuteurs s’entendent pour dire qu’ils sont là pour rester… à l’exception de M. Langevin. Le professeur est plutôt d’avis « qu’ils ont devant eux le même avenir qu’avaient les détaillants indépendants d’essence il y a quelques années. Ils ont disparu ». Il poursuit : « C’est inévitable, les gros boufferont les petits. » Il remarque d’ailleurs un parallèle intéressant entre l’évolution du marché des concessionnaires automobiles et celui des propriétaires de terres agricoles. 

 

Si les groupes de concessionnaires sont souvent très visibles et audibles, Jeffrey Wingrove tient à rappeler l’importance des concessionnaires individuels, puisqu’ils génèrent plus de 25 % du volume de Volkswagen au Canada. 

 

De son côté, Andrew Harkness affirme que « la tendance de l’industrie, c’est la consolidation, et ce phénomène s’observe aussi aux États-Unis. Il devient très rare de voir des concessionnaires individuels ». Cela étant dit, il mentionne qu’on les trouve principalement hors des grands centres, et s’ils feront certainement face à des défis en matière d’opération dans les années à venir, ces entreprises familiales sont généralement très impliquées et implantées localement et au sein de leur communauté. Cette connaissance pointue d’un milieu précis représente un véritable atout vis-à-vis des nouvelles marques qui désirent s’implanter sur le marché automobile canadien. Don Romano abonde dans le même sens. Il affirme que la rentabilité ne serait probablement pas au rendez-vous pour un important groupe s’il décidait d’opérer une petite concession sur un territoire éloigné d’un grand centre. Il croit donc à une combinaison et à une cohabitation des grands groupes et des petits exploitants. 

 

Si certains concessionnaires individuels ont un plan de relève clair et établi, d’autres n’ont pas d’autres options que de vendre le fonds de commerce ou la bâtisse. Bien souvent, les acheteurs sont, en fait, un groupe de concessionnaires existant et en voie d’être de plus en plus puissant.



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