Bien que les frontières n’existent plus pour les groupes de concessionnaires automobiles nord-américains visant à prendre de l’expansion, celles du Québec donnent l’impression d’être encore très étanches… des deux côtés. Les acquisitions transfrontalières impliquant des concessionnaires d’ici dans un rôle d’acheteur ou de vendeur se calculent toujours au compte-gouttes. Pourtant, cet exercice de croissance n’est pas si complexe qu’il peut paraître.
Depuis que le Groupe Olivier opère en mode expansion, les territoires convoités par l’entreprise ne se limitent pas qu’au Québec. La société qui pointe au troisième rang de notre classement des plus grands groupes de la province possède déjà deux adresses au Nouveau-Brunswick (Nissan Grand-Sault et Honda Bathurst). Deux acquisitions qui ont eu lieu respectivement en 2018 et 2020.
« Déjà que les gens de mon entourage ne comprenaient pas qu’un concessionnaire de la Rive-Sud achète des concessions sur la Côte-Nord, ils ont été encore plus surpris lorsque le groupe a acheté des concessions dans les Maritimes », raconte son président et principal actionnaire, Jacques Olivier.
Le concessionnaire, qui regroupe désormais 21 concessions, dont 19 au Québec, ne cache pas son intention de poursuivre ses emplettes ailleurs au pays. Et même aux États-Unis. Ses deux principaux associés, Daniel Fox et Michel Martineau, s’expriment fort bien dans la langue de Shakespeare. Donc, la barrière de la langue ne cause aucun ennui à cet entrepreneur du secteur automobile.
Bien s’entourer
Connaître la culture de la communauté où évolue la concession ainsi que ses réalités opérationnelles constitue un atout indispensable qu’il est préférable de détenir avant la transaction, conseille Jacques Olivier aux concessionnaires qui seraient tentés de traverser la clôture.
Néanmoins, ce qui importe le plus dans une transaction hors frontières, c’est de bien s’entourer, insiste-t-il. « Notre firme d’avocats, nos comptables et notre notaire ne suffisent pas lorsqu’on vise à acheter ailleurs qu’au Québec. Il faut travailler avec des avocats, des comptables et des notaires de la ville ou du moins de l’État ou de la province de la concession convoitée », explique-t-il. Il faut s’entourer d’experts qui connaissent bien leur marché et les subtilités des lois locales. « Et, glisse-t-il au passage, mieux vaut collaborer avec des professionnels qui nous ont été recommandés par notre propre entourage juridique et financier que de se fier aux suggestions d’un moteur de recherche sur le Web. »
Quand l’herbe est plus verte chez le voisin…
Pourquoi regarder ailleurs ? « Les occasions d’affaires sont beaucoup plus nombreuses à l’extérieur du Québec », souligne Étienne Demeules, directeur financier et associé à la firme de fusion et acquisition DSMA. Les 862 concessions du marché québécois forment une goutte d’eau versus les quelque 20 000 autres concessions nord-américaines (dont 17 600 chez nos voisins du sud). Cet expert soulève également l’avantage franchise. « De plus en plus d’États américains adoptent des lois antiagences afin de protéger les franchises automobiles. C’est le cas notamment en Floride. Un détail non négligeable qui augmente l’attrait aux yeux des investisseurs. »
En fait, poursuit Etienne Demeules, le principal défi d’un concessionnaire d’ici qui souhaite acheter des concessions ailleurs qu’au Québec n’est pas tant sur le plan de la langue et de la culture. C’est de surpasser les offres de la concurrence. « Car des groupes et des investisseurs intéressés à investir dans une concession automobile, il y en a beaucoup à l’extérieur du Québec », avertit l’expert financier de DSMA.
Certes, il y a aussi des procédures légales telles que l’obtention de visas d’investisseurs et de travail, qui peuvent venir complexifier la transaction. Encore une fois, il faut travailler avec des experts de cabinets pluridisciplinaires qui maîtrisent bien ce type de dossier. « N’empêche que les concessionnaires canadiens qui désirent s’implanter aux États-Unis ont un avantage non négligeable : celui de pouvoir collaborer avec des banques canadiennes telles que BMO, TD et RBC, qui sont solidement implantées au sein du marché américain », soulève Etienne Demeules.
Des investissements qui rapportent
Et les coûts dans tout ça ? Étonnamment, les achats néo-brunswickois du Groupe Olivier reviennent moins cher que d’exploiter une concession au Québec, fait remarquer Jacques Olivier. « Les normes du travail, les règlements législatifs et les avantages sociaux y sont différents de ceux du Québec. Ce cadre opérationnel plus flexible permet, dit-il, de générer des profits plus rapidement que dans une concession similaire de la Belle Province. »
Si le cadre opérationnel plus flexible se traduit par des économies, d’autres facteurs peuvent faire gonfler la facture. À ce propos, Etienne Demeules fait remarquer que le goodwill des concessions automobiles hors Québec est généralement plus élevé que celui des concessions d’ici. Pour les simples et bonnes raisons que les ventes sont plus élevées, surtout aux États-Unis, et qu’il y a beaucoup plus d’investisseurs qui se présentent à la table des acheteurs.
Le succès HGrégoire
Le groupe HGrégoire peut lui aussi témoigner des avantages financiers à disposer de produits hors frontières. Soulignons que l’entreprise s’est établie pour la toute première fois aux États-Unis en 2010, soit en pleine crise financière mondiale alors que les dollars canadien et américain flirtaient avec la parité. Un contexte économique qui a permis au duo père-fils Greg et John Hairabedian d’ouvrir deux succursales de véhicules d’occasion dans les secteurs de Doral et de North Miami, en Floride.
Depuis, l’entreprise de Saint-Eustache s’est répandue à Tampa, à Orlando, à West Palm Beach en plus d’ouvrir un HGreg Lux à Pompano Beach, une boutique entièrement consacrée à la vente de véhicules d’occasion grand luxe, tels Ferrari, Rolls-Royce et Bentley. Le groupe détient également deux concessions Nissan américaines, soit Nissan Kendall, en banlieue de Miami, et Nissan Buena Park, en Californie.
« Cette expansion constitue de loin un des meilleurs investissements de l’entreprise. Nos adresses américaines représentent aujourd’hui 50 % des revenus du groupe », signale son PDG, John Hairabedian.
L’entrepreneur tient d’ailleurs à préciser que ses deux marchés de prédilection pour de futures expansions vont demeurer le Québec et le territoire américain. Et ailleurs au Canada ? « Pour l’instant, ça ne vaut pas le coup d’investir dans les autres provinces », dit-il. Non seulement le coût de l’immobilier au Canada anglais est beaucoup plus élevé que celui de nos marchés convoités aux États-Unis, mais les bassins de population au pays n’ont rien de comparable avec ceux des États américains », conclut le dirigeant de HGrégoire.
Des obstacles culturels qui demeurent
Est-ce une question de langue, de culture ou de crainte face aux risques… Quoi qu’il en soit, très peu de concessionnaires d’ici ont procédé à des acquisitions hors frontières. Mis à part les HGrégoire et Holand Group, qui sont présents en Floride et en Californie dans le marché des véhicules de luxe, le nombre de concessionnaires d’ici disposant d’adresses hors Québec se compte sur les doigts d’une seule main. Même chose à l’inverse. Seuls les deux groupes formés par les familles Dilawri, AutoCanada, l’investisseur ontarien Drew Tilson et la fiducie de placement Automotive Properties sont présents dans la Belle Province.