Depuis une dizaine d’années, le nombre de concessionnaires automobiles indépendants au Québec fond comme neige au soleil. Longtemps majoritaires au sein de l’industrie, ces irréductibles ne représentent plus que 20 % des 839 concessions membres de la Corporation des concessionnaires du Québec (CCAQ). AutoMédia s’est entretenu avec quelques-uns de ces entrepreneurs qui persistent et signent à vouloir évoluer en solo.
D’abord, quelques appels suffisent pour comprendre que le facteur d’indépendance dans le monde automobile est une caractéristique fortement liée aux entreprises familiales. La plupart des concessionnaires uniques que nous avons joints pour cet article sont des organisations qui appartiennent à une même famille depuis deux à trois générations. Ce sont, pour plusieurs, des concessions où la relève est au rendez-vous.
C’est le cas notamment à la concession Joliette Toyota, où la propriétaire des lieux, Nathalie Aumont, envisage − comme son père l’avait fait pour elle en 2000 − de passer le flambeau à son fils Fred d’ici les prochains mois. Ce qui fera de ce futur propriétaire la troisième génération Aumont à diriger le commerce du boulevard Antonio-Barette en affaires depuis 1977. « Fred est tellement impliqué depuis son jeune âge que c’est de l’huile à moteur, et non du sang, qui coule dans ses veines », aime souligner la dirigeante de la concession qui vend près de 1000 véhicules neufs et usagés par année.
Non, mais…
Bien que les intentions de Nathalie Aumont aient toujours été claires et précises sur la conservation du statut indépendant de son entreprise (son père Gilles l’a toujours souhaité), les appels d’investisseurs affluent depuis 10 ans. « J’en reçois au moins un par mois », dit-elle. Des demandes auxquelles elle répond systématiquement par la négative. Enfin, presque tout le temps.
Le printemps dernier, la concessionnaire a voulu voir jusqu’où allait la proposition d’un investisseur intéressé par son commerce. « Quand j’ai vu le montant et les conditions qui m’étaient offerts, mes genoux ont littéralement tremblé », avoue la propriétaire de la concession joliettaine. À la suite d’une sérieuse discussion avec son fils, la proposition a été refusée.
Néanmoins, la concessionnaire reconnaît que l’offre était tentante. Mais sa relève est là, insiste-t-elle. Et il y a aussi un facteur ambition qui penche dans la balance, glisse-t-elle au passage. Tout indique que Nathalie Aumont, nouvellement membre du conseil d’administration de la CCAQ, pourrait être nommée, d’ici deux ans, la toute première femme présidente de l’organisation. « Un objectif qui ne peut être réalisé si je ne suis plus une concessionnaire-propriétaire », avise celle qui évolue depuis près de 35 ans au sein de l’industrie.
Aimer son travail
« Le client aime pouvoir bénéficier d’un contact direct avec le propriétaire des lieux », soulève pour sa part Sébastien Brassard, copropriétaire de la concession Honda de Terrebonne. Depuis 2016, lui et son frère Simon tiennent les rênes du commerce du chemin Gascon que leur père Donald avait ouvert en 1987. Une propriété unique qui reçoit, elle aussi, son lot d’appels de la part d’investisseurs et d’agences de fusions et acquisitions. « Même des agents immobiliers nous contactent pour savoir si on veut vendre des parties de notre vaste terrain », raconte le concessionnaire.
« Mais pourquoi vendrions-nous? Simon et moi avons grandi dans la concession. On a toujours aimé ce qu’on fait. Et encore plus aujourd’hui. On est entourés d’une belle équipe et les affaires vont très bien », poursuit le dirigeant. Avant la pandémie, les ventes de l’entreprise frôlaient facilement les 1700 véhicules neufs et usagés.
En fait, les frères Brassard seraient plutôt dans une position d’acheteurs, admet le concessionnaire Honda. Pour l’instant, il s’agit d’une idée au stade de projet. « Simon et moi allons d’abord consolider l’acquisition de la concession ainsi que les frais des travaux de rénovation qui ont été nécessaires en 2018 afin d’adopter l’image de marque du constructeur. Ensuite, on verra bien », indique M. Brassard.
Pas touche à notre bébé
Même discours à la concession Mazda Chambly, devenue la propriété unique de la famille de Denis Morin en 2015. Le frère et la sœur (Vincent et Marie-Eve), qui codirigent l’entreprise achetée par leur père, n’ont pas du tout l’intention de vendre leur commerce, dont les ventes représentent plus de 800 véhicules neufs et usagés (du moins, était-ce le cas avant la pandémie). « Pas question de vendre notre ‟bébé” », répond Marie-Eve Morin. En fait, la jeune dirigeante, dont le curriculum vitae affiche quelques années d’expérience chez d’autres concessions appartenant à des groupes, ne ferme pas la porte à de futures acquisitions. En attendant de passer éventuellement à l’action, elle et son frère consacrent leur énergie à finaliser le processus de relève.
Facteur d’attraction et de rétention
Mais peut-être vaut-il mieux que les concessionnaires y pensent deux fois plutôt qu’une avant de former eux-mêmes un nouveau groupe. « À titre d’employé, je préfère travailler au sein d’une concession à propriétaire unique plutôt que dans un groupe », avoue un membre de la direction d’une concession unique de l’ouest de la province qui souhaite garder l’anonymat. « Je préfère évoluer dans une entreprise où il est encore possible de contacter rapidement le propriétaire par téléphone intelligent si le besoin se présente. Ce qui est rarement le cas lorsqu’on bosse pour un groupe de concessionnaires », fait savoir ce directeur qui parle par expérience.
La concessionnaire Nathalie Aumont peut, elle aussi, témoigner au sujet de ce « nouvel avantage » d’attraction et de rétention du personnel dans l’industrie. Depuis quelques années, elle réalise que d’être propriétaire unique aide au recrutement. « Plusieurs nouveaux employés m’ont signalé qu’ils voulaient travailler chez un concessionnaire indépendant. Selon eux, il est plus facile de suggérer de nouvelles idées, de nouvelles façons de faire à un propriétaire unique qu’à l’équipe de direction agissant au sein d’un groupe », explique Mme Aumont.
Raison de plus, conclut-elle, de poursuivre l’aventure en solo.
NOTE: Le facteur régional
Selon des données fournies par le président-directeur général de la CCAQ, Ian P. Sam Yue Chi, c’est en Outaouais que la formule de concessionnaire unique montre le pourcentage le plus élevé. Sur les 45 concessions de la région, 15 ont toujours un propriétaire indépendant, soit le tiers (33 %) de ses membres. Mentionnons que c’est la seule région au Québec où ce pourcentage dépasse la barre des 30 %. À l’exception de l’Est-du-Québec, qui s’approche de ce nombre (29 % des 85 concessions de son territoire demeurent des propriétés uniques), toutes les autres régions peinent à maintenir un ratio d’un concessionnaire sur quatre. Cette proportion est encore plus faible dans les deux grandes régions métropolitaines de la province. Qu’il s’agisse de Montréal ou de Québec, moins de 15 % des concessions constituent encore des propriétés uniques. L’Estrie suit de très près avec moins de 16 %.
Tableau du nombre de concessions uniques au Québec
Source : CCAQ
Régionale | Nombre total | Nombre d’uniques | Pourcentage d’uniques |
Est-du-Québec | 85 | 25 | 29,41 % |
Estrie | 71 | 11 | 15,49 % |
Laurentides | 104 | 24 | 23,08 % |
Mauricie | 32 | 7 | 21,88 % |
Montréal | 211 | 27 | 12,80 % |
Nord-Ouest | 36 | 9 | 25 % |
Outaouais | 45 | 15 | 33,33 % |
Québec | 121 | 18 | 14,88 % |
Richelieu | 92 | 23 | 25 % |
Saguenay−Lac-Saint-Jean−Chibougamau | 42 | 10 | 23,81 % |