Fraudes chez les concessionnaires : un fléau qui ne s’arrête pas 

Prétendre que la COVID-19 a favorisé une hausse des fraudes chez les concessionnaires automobiles serait mentir. Mais une chose est sûre, la pandémie, elle, n’a pas ralenti les fraudeurs, qui raffinent et peaufinent leurs activités illicites. 

Une manchette du Journal de Montréal, publiée en mai dernier, soulignait qu’au moins 687 voitures volées avaient été récupérées en 2020 au port de Montréal. Selon les données fournies par le Bureau d’assurance du Canada, la valeur de ces véhicules, destinés à l’étranger, totalisait 25,7 M$, soit une hausse de 71 % comparativement à la valeur des véhicules récupérés en 2018.

Une nouvelle qui ne surprend pas les experts en financement automobile des principales institutions financières canadiennes. « Il y a cinq ans, on pouvait avoir un signalement aux deux mois. Aujourd’hui, c’est régulièrement cinq cas par semaine », soulève Sylvie Brunelle, directrice principale ventes financement aux concessionnaires particuliers Québec chez BMO groupe financier. Elle encourage d’ailleurs les concessionnaires à faire preuve de vigilance.  

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Comment les voleurs s’y prennent-ils ? « Ils utilisent principalement des prête-noms, le vol d’identité ou encore une fausse identité pour commettre leurs escroqueries », enchaîne Luigi Mancini, directeur régional Québec chez Financement auto TD. Son équipe multiplie justement les formations auprès des concessionnaires afin de mieux prévenir les fraudes.

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Les formations de lutte contre la fraude font aussi partie de l’agenda de l’équipe du financement auto de la Banque Scotia depuis deux ans. « Pour faciliter davantage l’échange d’informations, nous avons même réalisé une vidéo d’une dizaine de minutes accessible à l’ensemble de nos clients ainsi qu’aux membres de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec, qui peuvent le visionner gratuitement », signale la directrice des ventes aux particuliers Banque Scotia Financement aux concessionnaires région du Québec, Martine Drolet.

« Plus nous aborderons le sujet, insiste-t-elle, plus nous serons en mesure de prévenir les fraudes. Si les concessionnaires ne veulent pas être considérés comme des cibles faciles, ils ont avantage à parler, à dénoncer et surtout à demeurer alertes. » À ce propos, le message ne s’adresse pas uniquement aux concessionnaires de Montréal et de Laval. Les concessions de Sept-Îles, Val-d’Or, Rimouski, Sherbrooke, figurent également dans le collimateur des fraudeurs, avertissent unanimement nos experts. 

Normand Bergeron, directeur national des ventes, financement automobile et biens durables chez Desjardins, mentionne justement un cas de fraude dont a été victime un concessionnaire d’une bannière populaire en région. Ce dernier, dit-il, s’est fait voler plusieurs milliers de dollars en pièces électroniques. « Le commis aux pièces a reçu un appel d’un client qui voulait commander des pièces de grande valeur. Le client disait habiter à plus de cinq heures de route du concessionnaire, donc il payait pour les frais de transport. Une entreprise de livraison, au nom bien connu, passerait ramasser les pièces. » Il s’avère, poursuit-il, que le fraudeur a utilisé une carte de crédit volée et que le chauffeur de la supposée compagnie de livraison était un complice.

« Une simple recherche dans le système d’approvisionnement des pièces du fabricant aurait permis au commis de voir que plusieurs concessionnaires, entre l’adresse du client et celle de la concession, détenaient lesdits accessoires. Pourquoi un client voudrait-il aller chercher des pièces si loin ? Par conséquent, le concessionnaire a dû assumer la responsabilité de la fraude », indique Normand Bergeron.

 

Attention aux transactions plus que parfaites

« Quand c’est trop beau pour être vrai, posez-vous des questions », ajoute Martine Drolet. Les fraudeurs sont bons, dit-elle, pour mettre de la poudre aux yeux. « Ils sélectionnent les modèles de luxe sans négocier, en plus d’ajouter toutes les options et les produits F&A au passage. Les services financiers des concessions n’y voient que du feu ! »

C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à un concessionnaire de véhicules de luxe au début de l’année 2021, raconte-t-elle. Dans ce cas-ci, les fraudeurs ont procédé avec un vol d’identité. « La personne, ayant usurpé l’identité d’un médecin, s’est présentée chez un de nos clients pour acheter un véhicule. L’acheteur a demandé à la concession que le véhicule lui soit livré à l’hôpital où il travaille. Le jour de la livraison, le fraudeur a contacté le concessionnaire pour l’informer qu’il entrait d’urgence en salle d’opération, mais qu’un collègue allait prendre possession du véhicule à sa place. C’est ainsi que le véhicule a été livré au complice du fraudeur », explique Martine Drolet. 

Ce n’est que deux semaines plus tard, poursuit-elle, que le pot aux roses a été découvert. La Banque Scotia a communiqué avec le médecin pour le féliciter de son achat. C’est alors que le médecin, le concessionnaire et la banque ont constaté le vol d’identité.

À qui la faute ? Le concessionnaire a commis plusieurs erreurs, dit-elle. D’abord, au moment de l’identification et de la signature des documents, seul le permis de conduire a été exigé comme pièce d’identité. Ensuite, l’employé a livré le véhicule à une personne différente de celle qui a signé les documents. Enfin, le véhicule, à la demande du fraudeur bien sûr, n’a pas été immatriculé à sa sortie de la concession. Ce qui a facilité la tâche des voleurs. 

 

Gare également au prête-nom

Remarquez, les fraudeurs, particulièrement les membres du crime organisé, utilisent également la formule du prête-nom pour commettre leur délit. Les fraudeurs vont recruter des gens qui disposent d’actifs tels que maison, chalet et crédit bien établi. « On a eu récemment un professeur d’école qui est tombé dans le piège », indique Sylvie Brunelle.

Quel est le modus operandi du prête-nom ? Les réseaux de voleurs demandent à un particulier d’acheter ou de louer un véhicule à son nom. Une transaction pour laquelle les fraudeurs versent une prime (1000 $, 2000 $, même 3000 $) à l’acheteur en plus de lui promettre de verser les montants mensuels à sa place. « Ces véhicules servent généralement de transport pour les mules qui contribuent au trafic de la drogue. Tant et aussi longtemps que le véhicule n’est pas repéré par les autorités policières, le crime organisé se charge des versements mensuels. Mais dès que le véhicule est ‟brûlé”, généralement vers le huitième ou neuvième mois suivant la transaction, le client se retrouve dans l’eau chaude… et doit poursuivre les paiements », souligne Mme Brunelle. 

 

Responsabilité des concessionnaires

Les concessionnaires ont leur part de responsabilité face au fléau de la fraude, avertissent les représentants des institutions financières que nous avons contactés. La règle d’or, disent-ils, est d’identifier clairement qui est le client. « C’était la façon de faire il y a 20 ans, ça l’est encore aujourd’hui », maintient Sylvie Brunelle.

Le concessionnaire, avise-t-elle, a aussi la responsabilité d’avertir les institutions des moindres détails qui sortent de l’ordinaire. « Lorsqu’un client se présente pour acheter trois véhicules en demandant, si possible, du financement pour chacun d’eux auprès de trois institutions financières différentes, ce n’est pas normal », soulève Mme Brunelle, qui a été témoin récemment d’une telle demande. Le concessionnaire, insiste-t-elle, doit en faire part aux institutions avec lesquelles il collabore.

Une de nos sources, qui a demandé à garder l’anonymat, se questionne d’ailleurs sur la possibilité que certains concessionnaires, ou employés de ces derniers, soient de connivence avec les fraudeurs. Cette source nous a révélé qu’elle avait récemment refusé une demande de prêt en expliquant clairement au concessionnaire qu’elle avait des doutes sur la réelle identité du client. « En fait, nous savions qu’il s’agissait d’un vol d’identité. Or, nous avons appris quelques semaines plus tard que le concessionnaire, mécontent de notre refus, est allé frapper à une autre porte pour obtenir le prêt. » Le dossier est actuellement entre les mains de l’Autorité des marchés financiers.

 

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